Vers la fin du XIX siècle, l'aisance liée à l'industrie de la taille des pierres gemmes, a permis à beaucoup de gens d'aménager ou de construire des maisons plus spacieuses et plus confortables. Notre histoire se situe dans l'une d'entre elles, occupée par deux familles, sur la commune des Molunes.
Le côté sud est réservé à la ferme avec la tradition lapidaire pendant l'hiver.
Dans la partie nord, Madame veuve Elie Grospellier emploie quelques ouvriers dans son petit atelier lapidaire, installé au premier étage afin de profiter au mieux de la lumière du nord.
Nous sommes en 1921, la pierre précieuse est la principale activité de l'établissement.
Cette semaine-là, c'est un superbe lot d'émeraudes que l'on vient de terminer de tailler.
Une dernière passe est nécessaire, il faut nettoyer les gemmes qui ont gardé des traces de ciment, cette espèce de cire qui permet la fixation des pierres sur les bâtonnets.
Cette dernière opération s'effectue à l'aide de Lessu ou d'alcool à brûler.
Depuis le début de la taille, le nombre de pierres est assuré. La maîtresse des lieux descend donc au rez-de-chaussée pour effectuer le dernier rinçage et la mise en plis.
Les pierres disposées sur un linge fin étendu sur la table font merveille et ravissent notre personnage. Constatant qu'elle a oublié une paire de pinces de brucelle, indispensable pour la manipulation des pierres pour éviter de laisser des traces de doigts, elle remonte au premier étage, à l'atelier. Jamais ne lui serait venue à l'esprit de fermer la porte, les passages autour de ces fermes isolées étant si rares!
Et puis, l'aller-retour n'est l'affaire que de quelques secondes. À son retour, pourtant, c'est la stupéfaction. Le comptage est fait plusieurs fois, de plus en plus nerveusement on l'imagine, et il faut bien se rendre à l'évidence, il manque bel et bien une pierre. Comment savoir, et comment accuser telle ou telle personne?
Dans les jours qui suivent, dans la maison d'à côté, on s'apprête à fêter la première communion d'une jeune fille.
Voisins et amis sont conviés afin de partager un bon moment. Pour l'occasion une cuisinière est spécialement retenue, et le coq de la basse-cour tout désigné pour honorer le festin.
La fermière effectue donc le nécessaire, rue, déplume puis vide le malheureux sacrifié. Le gésier est délicatement enlevé, car à la campagne il fait partie des mets les plus prisés. Il faut ôter tous les petits graviers que le gourmand a ingurgités, mélange de cailloux, de grains, et quoi d'autre encore. L'un d'entre eux brille de manière. Tout à fait inhabituelle, impossible de ne pas le remarquer, et pour cause! La fermière n'en croit pas ses yeux. Une émeraude!
Dans ces fermes isolées, la volaille jouit d'une entière liberté, et gambade tranquillement tout autour de la ferme, sans se soucier d'empiéter sur le territoire de quiconque. Profitant de la porte voisine restée ouverte et de l'absence de notre lapidaire, le coq, pour qui rien n'est finalement trop bon, d'un saut sur la table se rendit le plus riche et le plus célèbre gallinacé de la planète.